Vladimir Feltsman : A Tribute to Scriabin.

Conçu en ordre chronologique, cet enregistrement nous propose un portrait d’Alexandre Sciabine à travers une mosaïque de ses œuvres, du temps de l’innocence à l’âge de l’expérience.


Quels furent les éléments essentiels du langage de Chopin que le jeune Scriabine magnifia avant d’en décanter le principe vital à sa poétique au cours d’une trajectoire fulgurante à laquelle ne peuvent se comparer que celles de Debussy et Schoenberg ? Le souffle qui soulève la phrase vers les hauteurs avant que celle-ci ne s’évanouisse comme trop éprouvée par l’émotion qu’elle vient de faire naître, l’art du rubato aussi insaisissable que le mouvement de la vie jamais en repos, pareil à ce fleuve dans les eaux duquel on ne se baigne jamais deux fois selon Héraclite, enfin l’ultime raffinement sonore consacrant l’identité entre l’esprit et la matière. Le cercle infini des impressions et des révélations est dessiné avec une souveraine hauteur de vue dans l’univers pianistique exigeant et original de Vladimir Feltsman. Une alchimie très rare de ruptures et de fluidité, de distance et de proximité ouvre les portes d’un monde tournoyant d’extases et de luttes. Entre pointillisme et cubisme, le mouvement unifie l’ensemble des contrastes tout en accusant chacun d’eux, tels ces éclats de lumière aveuglants des glaciers en plein soleil, auxquels succéderait, une fois le regard accoutumé, une réalité plus précise et complexe mais toujours suffisamment suggestive de nouvelles découvertes. La structure du programme établie d’après la chronologie des compositions peut d’ailleurs se lire comme une représentation immédiate de ce mouvement perpétuel. La densité et la clarté du jeu surplombant la mer des obstacles sonnent comme des échos du sens de la liberté à l’œuvre dans l’évolution et la détermination de l’homme et du musicien Scriabine. (Pascal Edeline)