Simon Laks : Musique de chambre. Ingolfsson, Gorokhov, Stoupel.

Voici un disque bienvenu en hommage à un compositeur né en 1901 à Varsovie, Szymon Laks, qui quitta la Pologne en 1926 et poursuivit ses études musicales à Paris jusqu’en 1929 au Conservatoire national (il eut pour professeurs Paul Vidal et Henri Rabaud). Il s’occupa activement de l’Association des Jeunes Musiciens Polonais, proche de l’Ecole de Paris soutenue par Alexandre Tansman. Laks, polyglotte, obtint la nationalité française et son prénom s’écrivit Simon. Il compose de la musique française et polonaise à la fois, utilisant des éléments tant slaves que méditerranéens, des chants, des danses, mais aussi des rythmes et l’harmonie du jazz. Les œuvres instrumentales de Laks sont caractérisées par un accomplissement technique typique de l’Ecole de Paris, la construction formelle, le sens des proportions, une technique polyphonique maîtrisée, une pureté rythmique et une facture simple et d’une très grande pureté. De plus les mouvements lents de Simon Laks montrent une tendresse et une expressivité inspirées. Ce disque propose d’abord 3 œuvres de l’entre deux guerres. La sonate pour violoncelle et piano (1932) est dédiée à Maurice Maréchal, qui l’a créée accompagné de Vlado Perlemuter. Le 1er mouvement et le blues ont des affinités avec Ravel, puis dans le 3e mouvement les groupements irréguliers de mesures à 5 temps vous feront penser à Dave Brubeck. Laks écrivit ses 3 pièces de concert (1935) pour Gérard Hekking, le violoncelle solo du Royal Concertgebouw d’Amsterdam : ici vous entendrez la version pour violon et piano (perdue, mais reconstituée par Judith Ingolfsson). Son mouvement perpétuel vous évoquera la sonate pour violon et piano de Ravel. La suite polonaise (1935) pour violon et piano est dédiée à Szymanovski et basée sur des chants polonais originaux. En 1941, Simon Laks, qui est juif, est arrêté par les autorités allemandes et interné dans le camp de Pithiviers, près d’Orléans. Il est déporté à Auschwitz en juillet 1942. En tant que musicien, il est mieux traité que la plupart des déportés et survit plus de deux ans pendant lesquels il est le chef d’orchestre du camp de concentration. Il raconte après la guerre son expérience dans un livre Mélodies d’Auschwitz. Il entend aussi méditer sur le rôle qu’avait joué la musique dans l’extermination. Quand il arrive dans le camp, il aperçoit “”…des pupitres, des pupitres à musique ! […] Qui dit pupitres, dit musiciens. Les uns sans les autres n’ont pas leur raison d’être. Qui joue donc de la musique ici ? Les bourreaux ou les victimes ? Quelle est donc la musique qui résonne en ce maudit lieu ? Des danses macabres ? Des chants funèbres ? Des chants hitlériens ?””. Il raconte qu’à Auschwitz, l’orchestre jouait deux fois par jour, au début et à la fin de la journée. Il accompagne les Kommandos qui passent puis repassent sous la grille du camp. Il explique que loin d’être un moyen de résistance, la musique était un moyen de torture supplémentaire, un moyen de domination totale. La musique aggrave, chez les détenus, la prostration physique et morale. Elle incite les détenus à la tâche, sans réflexion. Le 28 octobre 1944, il est transféré à Dachau. Le 29 avril 1945, le camp est libéré par l’armée américaine. Le 18 mai, il est de retour à Paris. Le cd se termine par un morceau de bravoure en hommage à Chopin sans être une simple copie de style : c’est une pièce pour piano de 1949 qui fut primée au 2e concours de composition F. Chopin. Avec cet enregistrement le label EDA continue courageusement son exploration musicale des œuvres des compositeurs pris ou broyés dans l’engrenage de la Shoah, tel cet attachant Simon Laks dont beaucoup d’œuvres ont été perdues pendant la guerre de 1939-45. (Dominique Souder)